Mardi 23 janvier 15H24.
« Vous avez déposé un dossier de candidature (…) à l’Académie de France à Rome – Villa Médicis pour l’année 2024-2025. Malgré la qualité de votre dossier, nous avons le regret de vous informer qu’il n’a pas été possible de le retenir. »
Le mail vient de tomber, mettant fin à trois mois de rêves alternés d’illusions d’un séjour romain.
Au mitan des années 80, tout jeune peintre débarqué du Québec, j’habitais une chambre de bonne au sixième étage du 111 rue de Rome dans le quartier des Batignolles (voir image n°5). Comme il est dit que tous les chemins mènent à la ville éternelle, j’y vis un encouragement naïf à postuler à la célèbre académie. Ce que je fis une fois mais ne pus réitérer ayant alors dépassé la limite d’âge. Quand l’automne dernier, je reçus l’appel à candidature ne comportant plus cette fois une telle limite, une envie un peu folle me fit remettre sur le métier à créer un projet rassemblant deux de mes thèmes de prédilection favoris : à savoir LE PREMIER ŒUF, hommage aux nombre d’humains passés sur Terre depuis son origine et L’AIRE HUMAINE, le territoire symbolique pouvant être alloué aujourd’hui à chaque individu de notre planète. Pour mémoire cette surface était de 2,7 hectares en l’an 2000 et aujourd’hui où nous venons de dépasser les 8 milliards, elle est d’à peine 2 hectares. Avec en parallèles, études et recherches sur la diversité des mythes et cosmogonies des civilisations humaines….
Pourquoi le taire ? Une année romaine aurait été un beau cadeau et un fort coup de booster pour moi qui suis depuis quelques jours ex fan des sixties…
Pour me remettre de cette déception, je suis allé chercher quelques livres à la médiathèque de mon quartier. Je tombe sur Yoga d’Emmanuel Carrère, sorti en 2020. Au début de ce roman, l’auteur part faire une retraite dans un centre d’apprentissage de méditation Vipassana, là même où je suis allé faire une retraite de dix jours il y a trente ans. Lire ce début m’a replongé dans cet univers méditatif et m’a bien aidé à atténuer les échos déceptifs de cette candidature.
Mais basta et avanti, comme on dit là-bas !!!
J’apaise les questions qui moulinent dans mes pinceaux et dans les lourds remugles de l’actualité en faisant chanter les tubes de couleurs et les papiers de soie qui cherchent toujours la joie de soi. Créer de l’attention sans prétention, de la tension sans intention. Pas d’enjeu dans ce jeu. Travailler la douceur qui dure, taire la frustration de la reconnaissance, ouïr le silence recueilli de chaque jour qui se créée, garder en pause l’envie d’exposer…
Je continue aussi à répondre à quelques appels à projets… Celui de L’Art dans le pré, près de Troyes, plutôt bien rémunéré, offrait une dizaine de sites d’installation. J’y ai proposé, sans succès, deux projets. Les organisateurs en ont reçu … 387! J’ai comme l’intuition que vu la conjoncture économico-culturelle, le manque de ventes dans les lieux autres que les grandes galeries et autres institutions, l’état de la commande publique en France, de plus en plus d’artistes se tournent vers le domaine du land art et des installations in situ, des sentiers artistiques et autres parcours culturels pour privilégier le contact direct avec le public et les associations qui se battent pour faire vivre l’art dans un terreau humain et accessible… Amis artistes qui me lisez, qu’en pensez vous ?
Ça m’énerve, les voix qui glosent sur « il est où le monde d’après ? ». Comme s’il pouvait advenir d’un claquement de loi, comme s’il était trop facile de se cacher derrière le petit moi de cette question pour ne pas le laisser advenir, ni lui accorder une once de regard et un brin d’espoir.
Lundi 29 janvier, 18H09, ligne 9 du métro, station Charonne. Un couple d’origine tamoule est assis sur les strapontins. Elle prend discrètement la main de son compagnon et la glisse sous son manteau « Tu le sens? il bouge » … Nos regards se croisent dans un sourire complice. Je murmure: « c’est beau »…. Je dédie avec ferveur la beauté de ce sourire à toutes celles et ceux qui vont subir la loi inique contre l’immigration votée en décembre dernier avec les voix de l’extrême droite. Dire qu’on pensait avoir fait barrage !!!
31 janvier, émission La Terre au Carré sur France Inter: « La forêt n’est en rien vierge, c’est avant tout un jardin » a dit Philippe Descola cité dans une interview des ethnologues Stefen Rostain et Antoine Dorison. À l’aide du LIDAR, sorte de sonar aérien capable de voir sous la canopée, ils ont découvert des traces ancestrales de cités-jardins au cœur de la forêt amazonienne communément appelée aussi forêt vierge. Qui a bien pu inventé une telle expression ? Quelques brutes colonisatrices pour mieux la violer ?
« Nous ne sommes pas au monde, nous sommes du monde » a dit Hannah Arendt.
Outre Yoga, j’ai lu ce mois-ci Service Action : Sauvez Zelensky, court roman de politique fiction sur les dessous de l’agression russe en Ukraine, écrit par Viktor K, auteur visiblement bien au fait des arcanes du monde de l’espionnage.
Et pour plus de douceur et de belle langue, le roman de Nina Bouraoui Tous les hommes désirent naturellement savoir
qui est aussi la première phrase de la Métaphysique d’Aristote. Un beau roman sur le désir, l’homosexualité, l’Algérie, la mémoire. Mémoire aussi, mais plus espagnole dans le premier roman de la chanteuse Olivia Ruiz au joli titre La commode aux tiroirs de couleurs.
Dans les films à voir à mon goût de ce début d’année, il y a Un Silence, Captives, L’Homme d’Argile et hier soir La Bête de Bertrand Bonello. J’avais un peu de réticence pour voir Bonnard, Pierre et Marthe aux allures de biopic, mais comme tout ce qui touche à Bonnard m’est cher, j’y suis allé et n’ai pas boudé mon plaisir à ce qui n’est pas un grand film mais une honnête évocation de la vie de mon peintre préféré qui disait vouloir « se présenter devant les jeunes peintres de l’an 2000 avec des ailes de papillons ».
Je ne suis plus un jeune peintre mais vous souhaite encore et toujours un regard de papillon sur les ailes du monde. Il en a besoin.
Do 9224
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