9 septembre 2013 DES NOUV’AILES DU NEUF n°45

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Un été de rêves et de mots, petits cailloux de temps glanés entre les deux.

« Le meurtrier de l’assassin l’attendait derrière la porte. Celle-ci s’ouvrit lentement de 180°, masquant son envers à son visiteur. Entrant dans la pièce il se retourna et d’une sueur glacée, sombra dans l’effroi la nuque la première. Quelque chose de puissant flottait dans l’air : la table était recouverte de larges assiettes en forme de coupes circulaires remplies de grappes de raisins verts… »

Saviez-vous que le mot « illusion » vient de « illudere, jouer librement » ? C’est Jean Claude Ameisen, par ailleurs président du Comité consultatif national d’éthique qui le dit de sa belle voix dans son émission « Sur les épaules de Darwin », le samedi matin de 11 à 12H sur France Inter.

« Une maison avec une grande baie vitrée qu’un fin store métallique baigne d’une lumière irisée bleue. Au sol, un carrelage aborigène fait de galets ocres est traversé par des lignes rouges qui convergent en un flot unique au travers d’un soleil blanc… »

Émerveillé par le roman de Philippe Forest « Le Chat de Schrôdinger » (Nouv’ n°43), j’ai poursuivi la découverte de cet auteur par son roman « Sarinagara « , mot japonais que l’on peut traduire par « cependant ». À travers le motif récurrent de la perte d’un enfant, il parle de trois grandes figures japonaises : Kobayashi Issa passé maître dans la composition du haïku, Natsume Sôseki considéré comme l’inventeur du roman japonais moderne et Yamahata Yosuke premier photographe dépêché à Nagasaki juste après l’explosion nucléaire d’août 45. Paroles autour de la mort, mais « cependant… »
Lu en juin, j’avais noté de ces pages ce court extrait « Il sent juste souffler autour de lui le grand vent calme de la vérité, celui qui, à un moment ou à un autre de chaque vie, finit par se lever, laissant chacun seul dans le vide.
À quoi tient ceci ? Que la représentation de la vie soit toujours plus poignante que la vie elle-même, que l’on pleure sur un portrait et jamais sur un visage (…) Pourquoi faut-il en passer par les images afin que nous soit rendue la vérité des choses aimées parmi lesquelles nous passons ? (…) Pourquoi ? À cette question, la philosophie donne toutes sortes de réponses. Elle dit que l’image étant le signe de la chose, elle en rappelle à la fois la présence et l’absence. Qu’elle ne nous rend l’objet aimé qu’afin de nous signifier que nous en sommes privés. Qu’elle nous désigne sa disparition mais pour nous restituer aussitôt cela qui nous manque à jamais selon le simulacre éblouissant de son don. Et il faut le regard second qu’appelle l’image pour que nous parvienne ainsi la vérité de notre vie, offerte et dérobée à la fois « .

Il fait maintenant septembre et je relis ce fragment à la lueur triste de la disparition d’O. qu’un crabe pulmonaire et fulgurant a emportée comme une avalanche de silence atterré. Elle avait participé à la préparation de la traversée Mare a Mare corse qu’elle devait faire avec la bande de joyeux rando-lurons et luronnes du Sud dont j’ai bonheur d’être depuis une quinzaine d’années. J’ai mis sa mémoire dans mon sac avec quelques cailloux de carpe diem par-dessus et nous avons marché dans la Beauté de l’Île. C’est elle qui avait proposé de faire en plus un petit fragment du GR20, et ce matin-là, les rochers de la crête sculptaient pour elle le bleu du soleil.

« Dans un festival de cinéma, des arbres artificiels sont enrubannés de filets d’arc-en-ciel. Lorsqu’un film se termine, les spectateurs font cercle et un homme en short noir fait un nœud au filet suspendu de l’arbre pour le ranger dans l’anneau de la mémoire des images. »

« La couleur est le lieu où notre cerveau et l’univers se rencontrent » a dit Cézanne cité dans le film niché au cœur de l’exposition Simon Hantai qui vient de se terminer au Centre Pompidou. Figure pas assez connue de l’art du XXème siècle, c’est un monument de peinture qu’il faut se « plier » avec joie de visiter. Comme aussi, le musée Rebeyrolle à Eymoutiers en Haute-Vienne. Autre « monstre » de peinture à la matière folle et exubérante, charnelle et matérielle…
Dans les petits cailloux picturaux de l’été, il y avait eu auparavant la troublante exposition Ron Mueck à la Fondation Cartier de Paris, les sculptures du Centre d’Art de l’Ile de Vassivière, les découvertes mystérieuses et insolites du land art dans les vastes paysages du Sancy et comme apothéose estivale, une journée sous le béton résillé du bâtiment du MuCEM marseillais (Musée des Civilisations Européennes et Méditerranéennes). Une époustouflance titanesque comme le fut la brillance des écailles du Guggenheim de Bilbao.

« Je suis à New York, en même temps que FG que je vais peut-être croiser, pour faire une conférence sur l’art. Les conditions d’accès à la salle et au public sont mystérieuses et acrobatiques : il faut passer par une porte-fenêtre qui donne sur le vide…. »

Mercredi prochain, 11 septembre. Je me souviendrai de 1973. De Salvador Allende et de mon émotion en passant au pied de sa statue à Santiago il y a quelques années auprès du palais de la Moneda. Et je relirai l’article sur le livre « Les Empires coloniaux » paru au Seuil sous la direction de Pierre Singaravélou… Pour continuer à décoloniser notre vision du monde, décentrer nos regards de nos rivages impérialistes et faire émerger la conscience multipolaire de notre unique planète… À fréquenter assidûment le musée Dapper et celui du quai Branly, je mesure comment, en deux décennies, notre regard sur l’art et le monde a pu se transformer aux contacts renouvelés avec les arts dits primitifs. Les barbares seraient-ils en voie de disparition ? Certains résistent sauvagement, sur les chemins de Damas…

« Écrire de la fiction, c’est se souvenir de quelque chose qui n’a pas existé » a dit dans le poste Siri Hustvedt, écrivaine new-yorkaise qui est aussi l’épouse de Paul Auster.
N’est-ce point aussi cela, ce qui s’écrit dans la toile de l’atelier ? Redescendu des montagnes aux goûts corsés et aux gorgées de Pietra, je retrouve les gestations d’argile et de couleurs posées en juillet au pied du chevalet. Sas de reconnexion avec les rythmes de la capitale avant la reprise des cours mi-septembre à Tours et début octobre à Rueil. Et bien sûr continuer à tricoter les fils du futur avec les aiguilles des projets et les mailles de la poésie. Oser poser une infime goutte de peinture au cœur de l’intime pour toucher l’infini océan de l’universel.
Pour aider à la réintégration de la grande ville après les pérégrinations aoûtiennes, j’ai vu « Une place sur la Terre », « Jeune et jolie », « Gare du Nord » et le singapourien « Ilo ilo ». Mais le top de cette semaine cinématographique, ce fut le déjanté, baroque et réjouissant « La danza de la realidad » du franco-chilien Jodorowsky. Au creux de l’été des Cévennes du XVIème siècle, il y eu aussi le très beau « Michael Kohlhaas ».

« Dans une alternative, entre deux choix, c’est toujours le troisième qui gagne ». Creuset yin/yang où dans le vide de l’entre-deux se glisse la pensée non pas magique mais créative, inventive, mouvante.
Le désir est-il triangulaire ? Et pour cela faut-il mettre son ego dans le cendrier ?

« Un groupe de gens se baladent dominicalement. Il y a un feu dans un trou, mais c’est peut-être une tour. Dans une grotte, des branches entrelacées font du plafond très haut une merveille de beauté. Il est possible de monter par un tronc d’arbre dans la paroi de la grotte. Je m’allonge par terre pour faire une photo. La grotte débouche par une galerie transversale sur un quai de gare tout au bord de la mer… »

Entre le vide et la vie il n’y a qu’un dé de différence.

Je vous souhaite des matins de bon thé.

do 9913

 

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