Pour clore cette première saison d’AU 9 RUE DES NOUV’AILES, qui est aussi la quatorzième saison du JOURNAL DU NEUF, j’ai suivi quelques fils quotidiens de ce pluvieux mois de Mai. Au risque d’être un peu long, mais vous avez trois mois pour aller à la pêche à ces lignes et nous nous retrouverons, si vous le voulez bien et en toute liberté, aux alentours du 9 septembre. Je serai à ce moment là en train de monter AILES DE GIRONDE dans le cadre de Sentiers d’Art 2016, dans le village de St Ciers sur Gironde (voir Nouv’ailes n°9 du mois dernier).
Bel été de bonté, beauté et amitié à partager.
10 mai: Maman perd doucement la mémoire dans la chambre angevine de L’Orée du Parc. Pour faire taire le douloureux désarroi, j’ai une bouffée de douce empathie pour le personnel qui lui prodigue soins et attentions.
11 mai: Le retour à l’atelier m’informe de l’annulation du symposium dans le Champsaur pour cause de réduction des subventions et de ma non-sélection pour Mac 2000 en novembre prochain.
12 mai: Au théâtre de la Contrescarpe, j’écoute LA VIE EN VRAC chantée par Annick Cisaruk et accompagnée par l’accordéon virevoltant de Davis Venitucci. Vous pourrez les entendre cet été au Festival d’Avignon du 7 au 31 juillet 2016 à 22h15 au Théâtre ARTO. Bonheur garanti. Dans le RER du retour, mon voisin black m’offre une poignée de cacahuètes qui déroutent mes papilles car elles ne sont pas grillées. Mais le sourire est complice.
13 mai: Après le fantasque “Ma Loute” de Bruno Dumont où excellent Binoche et Bruni-Tedeschi, je retourne au Théâtre de la Contrescarpe pour écouter cette fois la voix envolée et envoutante de Marie Baraton accompagnée par mon ami Pierre- André Athané. J’aime la variété de la chanson française, notes et sons accordés aux sens. La voix est la voie de l’humain.
14 mai: Je n’irai pas aux CONVIVIALES de NANNAY. Au fil du temps j’ai appris à encaisser ces refus de projets qui peuplent mes cartons à dessins mais sont matière recyclable. Demain est un nouveau projet, carburant vital et énergie renouvelable. Comme tous les samedis matins, je tire quelques flèches de bambous avec mes amis du Kyudo avant d’aller voir L’Ange Blessé, film kazakh de Emir Baigazin. Dépaysant !
15 mai: Balade à la traditionnelle et japonaise Maison de Kiso au Jardin d’Acclimatation pour voir l’installation d’Hiroko Hori. Tout près de là, Buren a décoré le bâtiment de la Fondation Vuitton. Spectaculaire, mais sans grande émotion plastique. Je préfère de loin son intervention à rayures sur le brillant tramway tourangeau. Au soir, sur les Champs Élysées, Money Monster avec George Clooney et Julia Roberts. Efficace dénonciation du monde des médias et des finances américain. Mais qui l’ignore encore?
16 mai: Rangé bureau et atelier en ce lundi de Pentecôte sans cours de gravure. Balade dans la Chine d’hier et d’aujourd’hui avec le film Red Amnésia.
17 mai: Le Stade de France est entouré de palissades de béton et grillage. Ambiance concentrationnaire et grande paranoïa sécuritaire en préparation de l’Euro de foot. Les commercants du quartier ne sont pas contents et la fête sera grillagée. Du pain et des jeux, mais rien à foot !!!
18 mai: Au retour de mon intervention hebdomadaire à la MJC de Ballan Miré, je glisse du TGV vers une salle obscure où je me régale de Julietta, beau portrait de femmes d’Almodovar.
19 mai: “j’ai perdu le sentiment d’appartenance, mais j’ai gardé celui de provenance” dit Erri de Luca en parlant de sa ville natale Naples…. Pourquoi parle-t-on au pluriel de “ses origines” alors que par définition, celle-ci est unique?
Au théâtre de Poche Montparnasse, je remercie Marie G. qui m’a donné place pour assister au spectacle Madame Bovary. Trois + Une comédiens-musiciens content, disent et jouent le roman de Gustave F. Le livre se livre sous nos yeux et c’est embarquement pour Flaubert.
20 mai: Passé une grande partie de ma journée sur mon dossier de retraite complémentaire. Labyrinthe administratif dont j’ai un peu de mal à maîtriser les circonvolutions. Le spectacle Le Petit Prince avec un mime et deux musiciennes m’enchante dans le cadre intime et gratuit ce soir-là, du Théatre du Ranelagh, loin là-bas au fin fond du XVIème arrondissement.
21 mai: Finale de la Coupe de France au Stade de France. Hauts parleurs et merguez-bière au Stade. Soirée radiophonique et dessin at home.
22 mai: De chers amis suisses sont venus acheter un tableau à l’atelier. J’aime quand ils découvrent pour la première fois l’antre de mes murs, le décor derrière la banale entrée du HLM et la lumière de la verrière qui invite aux rebonds des regards. Je ne me lasse pas de la merveille de leurs sourires qui pétillent.
Aujourd’hui c’est le 50 ème anniversaire de la premiere explosion nucléaire française en Polynésie. La radio diffuse des extraits de l’allocution insouciante et scientiste du Général De Gaulle. Je me sens polynésien et j’ai honte pour mon pays.
23 mai: L’Autriche n’a pas fait l’autruche et rejette de peu l’extrémité de la droite. Pour combien de temps? Que faudra-t-il pour qu’une conscience humaniste et européenne émerge réellement. Victor H, reviens nous mettre en vers les États Unis d’Europe!
24 mai: Coupure des subventions de la Villa Gillet à Lyon. Idem pour la Maison d’Izieu. On a trouvé des sous pour recruter des flics et acheter taser, flash-ball et autres matos mortifères et on coupe les budgets de la culture et de la recherche. Il y a des logiciels de gestion qu’il faudrait sérieusement mettre à jour.
J’accroche 6 gravures pour une expo de deux jours à la Mairie de Pantin. C’est pour la fête de l’estampe, faire plaisir à mon prof de gravure et à la vieille dame artiste qui organise cela. C’est n’importe quoi et n’a guère de sens.
25 mai: Isabelle Huppert est vraiment géniale dans le film ELLE de Paul Verhoeven. Et le film aussi. J’ai même dans la foulée lu le roman “Oh…” de Philippe Djian qui l’a inspiré.
26 mai: Journée colle de peau. Je prépare quelques supports qui sèchent au fil de la première image jointe à ces nouv’ailes.
27 mai: on a trouvé une météorite dans le toit d’une maison de la banlieue parisienne en 2011. La propriétaire s’appelait Madame Comète.
28 mai: “Hiroshima, c’est la fin des Lumières” a dit Albert Camus en réaction aux éditos des journaux post 6 août 1945 tandis que c’est la première fois qu’un président américain foule ce lieu originel d’irradiation.
29 mai: Mon anglais n’est toujours pas terrible et je ne savais pas ce que signifiait “spoiler” dans la bouche des adoraterurs inconditionnels de séries américaines. Mais grâce à mes amis québécois je peux désormais employer un mot qui ne doit rien à la langue de Shakespeare. Et je m’en vais vous “divulgâcher” le fin mot de cette histoire!
30 mai: Pour faire sécher les tirages que je rapporte du cours de gravure, je les mets, entourés de papiers de soie, entre les pages du gros catalogue de l’exposition Les Magiciens de la Terre en 1989.
31 mai: C’est bien, on dit un artiste-peintre mais on peut dire aussi une artiste-peintre.
1 juin: Je me nourris de la lecture du journal Le 1 intitulé cette semaine “La France qui Craque”. Bonne matière à réflexion sur le temps qui se trame en drame dans notre époque épique.
“Un conte, c’est une histoire d’hier que l’on raconte aujourd’hui pour demain”. (Tobie Nathan, cette nuit sur France Inter).
2 juin: Je prends le temps comme il vient et ne suis guère adepte des prévisions météo mais aujourd’hui je n’en peux vraiment plus. Il fait encore trop froid, la pluie est crue et la Seine fait le zouave au pont d’l’Alma. Le RER B est en rade et je manque de vitamine D.
3 juin: Belle exposition de céramiques à La Maison Rouge et de somptueux chefs d’œuvres venus de Budapest, dont un portrait présumé du frère de Dürer et quelques divins Gréco au Musée du Luxembourg.
4 juin: “les poètes sont de vieux peaux rouges qui refuseront toujours de marcher en file indienne” (Guy Gofette). Il y avait de la rhubarbe dans mon panier bio de cette semaine alors j’ai fait mon premier crumble (90g de beurre, 60 de sucre et 125 de farine. Bien mélanger avec les doigts et égréner sur un mélange de pomme et de rhubarbe saupoudré de suc vanillé. 30mn au four à 215°). Miam miam !
5 juin: Je continue mes envois de CV pour donner cours ou stage d’arts plastiques. Je pensais m’inscrire sur Linkedln. La première condition est de me faire aspirer mon carnet d’adresses. J’en reste là. Il y a quelques jours une panne de mail m’a valu d’être dépanné par un technicien Orange qui a pris à distance contrôle de mon ordinateur. La flèche curseur bougeait toute seule ! Manip réussie et parfaitement sécurisée. Mais quand même, sans être trop parano, je repense à Lisbeth Salander dans la saga Millénium et médite sur la sécurité informatique “à cœur”.
6 juin: Dans quelques semaines, je vais être artiste retraité. Ce qui est un oxymore. Qui me permettra tout juste de payer mon loyer. Il va me falloir continuer de ramer avec mes pinceaux. Mais j’ai un océan d’amour dans le cœur et ce matin j’ai rêvé de deux bateaux.
7 juin: Je prends à la gare de Massy le Ouigo de 10H37 pour Angers et retrouve Maman pour un déjeuner qui n’alimente plus de conversation. Je suis là. Elle est là. Je la câline et l’embrasse. Et je repars diluer ma tristesse dans le train qui longe la Loire toute crue et le soleil enfin revenu dans son val.
8 juin: Les enfants de Ballan terminent leur pliage en forme de livre d’arts plastiques. Au soir, je file à Anvers dans le film Diamant Noir d’Arthur Harari. Étincelant. Le croissant de lune est déjà vieux de deux jours de ramadan et joue magnifiquement de sa lumière dorée avec l’anneau saturnien du Stade.
9 juin: L’atelier est dans son silence nocturne, prêt à l’envoi du Neuf. Merci de m’avoir suivi jusqu’au bout de ces lignes.
Que la peinture de votre été soit fraîche.
do 9616