Lundi 9 mars, hors réseau.
Je reviens d’une longue balade aux bords des étiers de l’estuaire de la Loire. La lumière est magnifique et j’écris ces lignes à la musique du feu qui chante, chuinte et ronronne en cheminée.
« Plus il y a de poésie, plus il y a de réalité » a dit dans le poste Jacques Bonnafé qui préside cette année le Printemps des Poètes. Quand on lui demandait ce que voulait dire un de ses poèmes Paul Valéry répondait : « il ne veut rien dire, il veut faire ». Ne jamais oublier que l’étymologie de poésie vient du latin poesis lui-même issu du grec ancien ποίησις, poíêsis qui signifie « action de faire, création ».
L’an passé, le Centre Pompidou a modestement fêté les 25 ans de l’exposition « Les Magiciens de la Terre » dont je continue à utiliser le catalogue pour faire sécher et aplanir mes tirages de gravures. Et, à chaque fois que je le feuillette, je songe à la transformation du regard qui s’est opéré depuis ce quart de siècle. Cette exposition proposée par Jean-Hubert Martin suscita en son temps polémique et scandale : pensez donc, on osait mettre sur le même plan le regard d’artistes venus de tous les coins de la planète, signant ainsi la fin du regard occidentalo-centré. Ce fut aussi à cette époque que le Musée Dapper pris son essor annonçant Le Pavillon des Arts Premiers au Louvre et ensuite le Musée du Quai Branly. À avoir les yeux au plus près de cette transformation, se rend-on vraiment compte de quelle mutation profonde elle porte le sens ?
Benoît Jacquot à propos de son cinéma : « je conjugue tout à l’inchoatif, ce temps grec qui n’existe pas en français et qui indique que l’action en est à son début : s’endormir plutôt que dormir ». Ce qui se passe en Grèce depuis les récentes élections se décline-t-il à ce temps inconnu de notre langue ? Étrangement indulgent avec le nouveau tsarisme russe qui joue à chambouler le dessus et les dessous des cartes du monde, doit-on y voir l’omnipotente influence de la religion orthodoxe, qui ne l’oublions pas est un des premiers propriétaires grecs ! Une pope-révolution ne serait-elle pas bienvenue pour sortir la Grèce des ornières financières où, gabegie des jeux olympiques aidant, elle s’est enfoncée ?
Quand les parties soit-disant fines sont ainsi révélées, La Justice peut-elle être en Carlton ?
La participation aux séances d’un café littéraire dans la médiathèque de mon quartier m’a amené ce mois-ci à lire deux livres bâtis sur le même procédé, à savoir un écrivain met sa plume dans la vie d’un personnage pour en faire un roman avec toute l’ambiguïté dont est porteur ce terme aux frontières floues des fossés entre fiction et réalité. Qui est probablement aussi celui entre croyance et attention.
Ainsi « Nina Simone, Roman » qui trace non sans une certaine poésie sous la plume de Gilles Leroy le destin chaotique de celle qui, de son vrai nom Eunice Kathleen Waymon (Simone, c’était en hommage à la Signoret) fut une des rares à être virée du Pop-Club de José Arthur pour cause d’insupportabilité chronique et de bipolarité éternellement insatisfaite. Mieux vaut à mon sens en revenir à sa voix et sa musique plutôt qu’à cette lecture somme toute assez déprimante.
Plus réussi est « La petite communiste qui ne souriait jamais », roman de la vie de la gymnaste roumaine Nadia Comaneci par la romancière également chanteuse Lola Lafon. Pages d’échanges épistolaires entre l’auteure et la sportive vivant aujourd’hui aux USA dans lesquelles est mis aussi en scène le processus de création du livre. Ce qui en plus de faire connaître les méandres de cette étoile filante roumaine permet de jouer avec la perception et la restitution de la réalité de cette époque d’avant le mur et de ses données politico-sportives.
S’il n’y avait qu’un film à retenir de cette fin d’hiver, ce serait « Vincent n’a pas d’écailles » de et avec Jacques Salvador. L’histoire belle et tendre, drôle et subtile d’un type ordinaire qui devient super puissant dès qu’il est en contact avec l’eau. Avec en prime la plus longue caresse du monde !
À voir aussi, « Les merveilles » fable italienne autant qu’apicultrice, « Réalité » de Quentin Dupieux pour la jubilation des mises en abîme qui retombent sur leurs pattes cinématographiques et « L’enquête » si vous n’avez pas encore compris les arcanes de l’affaire Clearstream. « American Sniper » si vous n’êtes pas encore persuadé de la connerie de la guerre et en particulier de l’intervention américaine en Irak. C’est parfaitement maîtrisé, indécrottablement aveugle sur les raisons de cette guerre et malsain de troublante apologie de ce personnage qui apparaît dans sa véritable identité au générique de fin de ce film qui a engrangé aux USA plus de 337 millions de dollars de recettes, record de 2014 alors qu’il est sorti le 25 décembre ! Flippant !
Et bien sûr les retrouvailles magistrales avec Inaritu et son époustouflant « Birdman » dont j’ai encore dans les oreilles la percussive batterie qui accompagne la fluidité des images qui courent entre théâtre, cinéma, rêve et réalité.
Mardi 10 mars. Il semblerait que la télé-réalité devienne un sport de plus en plus dangereux. Alors qu’on cesse à tout prix de vouloir divertir le bon peuple pour mieux faire diversion de « telle est la réalité » !
Mercredi 11 mars. Maman perd sa réalité dans les couloirs désorientés de sa maison de retraite. Et quatre sinistres bougies continuent d’irradier les terres dévastées de Fukushima.
Jeudi 12 mars. Retour à l’atelier. Je n’irai pas ce printemps créer une Maison de Plumes sur les pentes du Sancy, ni le Dédale de l’Araignée sur les plages de Ré. Mais les fonds de tableaux préparés avec sables, colles et pigments avant cette vacance de mars, qui ressemblait plus à une convalescence post-grippale ont bien séché. Ils attendent la peinture. Les couleurs de la vie sur la réalité d’une Terre à sans cesse inventer. La lumière dans le feu de l’action qui est poésie.
Que l’aile du printemps soit jolie joie!
do 12315